Un an après le dénouement judiciaire de l’affaire « Baby Loup » qui a validé le licenciement d’une Directrice Adjointe d’une crèche pour avoir refusé d’enlever son voile, une nouvelle affaire relance le débat en France sur le port du voile en entreprise.

En l’espèce, une ingénieure d’études, dont le travail donnait toute satisfaction à son employeur a été licenciée au seul motif qu’elle refusait de se conformer aux exigences d’un client réclamant qu’elle ne porte pas de foulard islamique dans ses locaux.

Précision faite que la salariée avait été informée lors de son recrutement qu’elle pourrait conserver le foulard dans l’enceinte de l’entreprise, mais devrait le retirer en cas de « contact en interne ou en externe avec la clientèle ».

Son employeur a estimé qu’il était contraint vis-à-vis de ses clients, « dans l’intérêt et pour le développement de l’entreprise », « de faire en sorte que la discrétion soit de mise quant à l’expression des opinions personnelles de [ses] salariés » et qu’il était en droit d’exiger de leur part l’observance d’un « principe de nécessaire neutralité ».

Déboutée de son action pour licenciement discriminatoire en première instance (Conseil de prud’hommes de Paris, 4 mai 2011) et en appel (Cour d’appel de Paris, 18 avril 2013), la salariée a engagé un recours devant la Cour de cassation pour faire valoir que « l’interdiction de porter le voile dans une entreprise privée commerciale, même limitée aux contacts avec la clientèle, […] constitue une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté religieuse ».

La Chambre Sociale de la Cour de Cassation a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle afin qu’elle détermine si « le souhait d’un client d’une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée […] portant un foulard islamique » pouvait être considéré comme « une exigence professionnelle essentielle et déterminante » (c’est-à-dire de nature à justifier une différence de traitement fondé sur un critère de discrimination normalement prohibé par la loi) (Cour de cassation, Chambre Sociale, 9 avril 2015, n° 13-19.855).

Ainsi, la Cour de Cassation sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union Européenne.

Cette affaire soulève une question de principe : un employeur peut-il invoquer les opinions (réelles ou supposées) de sa clientèle pour restreindre la liberté d’expression religieuse de son personnel ?

En d’autres termes, il s’agit de déterminer si la cause la plus couramment invoquée pour justifier la discrimination professionnelle des femmes voilées (à savoir la volonté de ménager le « ressenti » de la clientèle en imposant une obligation de neutralité au personnel) n’est pas en soi contraire au principe de laïcité.

Affaire à suivre, donc.

• Cour de cassation, Chambre Sociale, 9 avril 2015, n° 13-19.855