Loi MACRON : plafonnement des dommages et intérêts en cas de rupture abusive du contrat de travail
Avant d’aborder les conséquences techniques de ces dispositions et d’évaluer les changements qu’elles opèrent par rapport au système actuel, il n’est sans doute pas inutile de s’interroger sur la polémique légitime qu’elles suscitent :
Sur le principe :
Il est permis de s’interroger sur la pertinence de ces mesures. Favoriser l’emploi et le recrutement est un objectif louable que personne ne saurait contester.
Plus singulier est l’idée que, pour ce faire, il faille s’attaquer aux seules conséquences des licenciements abusifs en les facilitant en quelque sorte. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La mesure ne vise que les ruptures de contrat de travail à durée indéterminée de salariés dont le licenciement sera jugé abusif.
Autrement dit, ces mesures sont des incitations données aux employeurs à licencier sans motif légitime par l’assurance qui leur sera donnée d’une prise de risque mesurée et d’ores et déjà calibrée. L’approche est une fois de plus assez technocratique et comptable en dehors de toute approche humaine, ou même morale.
En outre, il est également singulier de chercher à promouvoir l’emploi en facilitant ou en encourageant d’une certaine manière les licenciements. Si tant est, en effet, que la facilitation d’un licenciement encourage les employeurs à recruter; cela ne devrait concerner que les licenciements qui se justifient et en aucune façon ceux qui sont abusifs. Un employeur qui licencie pour de mauvaises raisons un de ses salariés ne va pas en recruter un nouveau et même le ferait -il que l’emploi n’y aurait rien gagné.
Sur le plan juridique, l’employeur qui sanctionne par un licenciement non fondé un de ses salariés se met à la faute et lui doit réparation intégrale de son préjudice, lequel est souverainement apprécié par les juges. Sur quel fondement peut-on imposer à un juge une fourchette d’appréciation de ce préjudice et de sa réparation en mois de salaire ? Les Conseils de Prud’hommes constitués de représentants de salariés mais aussi d’employeurs sont-ils incapables d’apprécier le montant de la réparation du préjudice en fonction des pièces remises au dossier et débattues contradictoirement devant eux par les parties ?
La méfiance du législateur face aux juges et au système judiciaire est un signe inquiétant sur l’état de notre démocratie et la responsabilisation que l’on entend donner à ses acteurs. Le gouvernement préfère autoritairement imposer à ses juges une grille de lecture qu’il a lui-même décidé…c’est dire la confiance qui est mise dans le système.
Pour cela on tiendra compte de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié : mieux vaudra être licencié abusivement d’une grande entreprise que d’une petite et idéalement en ayant une ancienneté significative. Où est l’égalité par rapport à la loi ?
N’est-il pas permis de se demander s’il n’aurait pas mieux valu réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour éviter tout licenciement abusif ce qui contribuerait tout autant, sinon plus, à ne pas mettre au chômage et donc à la charge de la société des salariés qui n’avaient aucune raison de l’être. La politique de l’emploi y aurait peut être gagné, le bon sens si ce n’est la morale aussi.
Sur les dispositions proprement dites et leurs conséquences :
Sont exclus de ces dispositions les “cas graves” à savoir : le harcèlement moral, la femme enceinte, les accidents du travail et maladies professionnelles, les cas de discrimination, de droit de grève, de salariés protégés…
Dans ces derniers cas donc le salarié victime pourra solliciter réparation du préjudice que lui ferait subir un licenciement abusif sans que les juges n’aient à tenir compte des limites qu’on leur fixe quant à l’appréciation du montant des dommages et intérêts qu’ils peuvent allouer.
Pourquoi ? Le licenciement est abusif ou ne l’est pas; le fait qu’il concerne une catégorie de salariés ne saurait justifier qu’on libère, dans ces cas, les juges de la grille de lecture qu’on cherche à leur imposer par ailleurs. Juridiquement c’est encore une singularité pour ne pas dire une incohérence.
Au-delà de cette concession politique et démagogique, l’idée est donc de distinguer 3 catégories de barèmes selon la taille des entreprises : celles de moins de 20 salariés, de plus de 20 à 299, puis à partir de 300.
Déjà en terme de simplification du droit du travail, on saluera la performance…sans compter les calculs auxquels pourront se livrer les employeurs afin d’éviter d’être dans telle ou telle catégorie, ce qui n’incitera pas nécessairement la création d’emplois.
Au sein de chaque catégorie une fourchette d’indemnités en fonction de l’ancienneté du salarié : sur ce point le texte initial a été amendé pour retenir l’échelle suivante :
* Entreprise de moins de 20 salariés :
– ayant moins de 2 ans d’ancienneté : maximum de dédommagement 3 mois de salaire,
– de 2 à 10 ans : minimum 2 mois de salaire, maximum 6 mois,
– > à 10 ans : minimum 2 mois de salaire, maximum 12 mois.
Jusqu’à aujourd’hui la loi considérait seulement un minimum de 6 mois de salaire pour le salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté dans le cadre d’une entreprise comptant plus de 11 salariés, et en fonction du préjudice subi sinon.
Autrement dit en dessous de deux ans d’ancienneté, l’évaluation s’appréciait librement par les juges en fonction du préjudice subi, mais en pratique excédait rarement 4 mois de salaire à 6 mois maximum, là où la loi veut imposer un maximum de trois mois. Outre le principe contestable puisque la situation du salarié peut être très différente selon les cas et qu’en toutes hypothèses le salarié se trouve en situation de perte d’emploi de façon injustifiée, la différence n’emporte pas une révolution; elle n’apporte en réalité, et une fois encore, qu’une inutile complexité.
Au delà de deux ans, en revanche pour celui qui était dans une entreprise de plus de 11 salariés, le minimum légal est devenu le maximum. On considère donc qu’un salarié abusivement privé de son emploi et prié de s’inscrire au pole emploi quels que soient son âge et sa situation de famille, devra avec l’équivalent d’un dédommagement de 6 mois de salaire s’en satisfaire, voire s’estimer heureux de cette situation pourtant parfaitement inique…dont acte.
* Entreprise de plus de 20 jusqu’à 299 salariés :
– moins de 2 ans d’ancienneté : maximum de dédommagement 4 mois de salaire,
– de 2 ans à 10 ans : minimum 4 mois, maximum 10 mois,
– > à 10 ans : minimum 4 mois, maximum 20 mois .
* Entreprise de 300 salariés et plus :
– moins de 2 ans : maximum 4 mois,
– de 2 à 10 ans : minimum 6 mois et maximum 12 mois
– > à 10 ans : minimum 6 mois, maximum 27 mois.
Tout ça pour ça, serait-on tenté de dire ! L’art consommé de compliquer inutilement les choses pour pouvoir justifier l’injustifiable s’agissant, on ne le rappellera jamais assez, d’indemnisation de salariés injustement privés de leur emploi dans une période où celui-ci est précieux, par un employeur indélicat.
C’est une prime donnée aux mauvais et brebis galeuses qui ne tirent personne vers le haut, c’est une défiance inquiétante du système judiciaire.. comment imaginer que cela permettra la création d’emplois ? Seuls des énarques peuvent encore y croire.