« Un roi doit régner ou il doit mourir » (Saint-Just devant la Convention le 13 novembre 1792) : le procès de Louis XVI

Le 21 janvier 1793, à 10 h 22 celui qui n’est plus appelé officiellement que Louis Capet monte sur l’échafaud installé place de la Révolution, ancienne place Louis XV et future place de la Concorde. Une ou deux minutes après, sa tête roule dans le panier placé devant la guillotine. Le 11 juin 1775, celui qui était alors Louis XVI, roi de France et de Navarre, avait été sacré à Reims, dans la vénérable cathédrale qui avait été le lieu de tant de sacres de ses ancêtres. Entre temps, les évènements révolutionnaires, de juin 1789 à la prise des Tuileries du 10 août 1792, ont mis à bas l’antique monarchie. Le roi, qui s’est réfugié auprès de l’Assemblée législative, est interné à la prison du Temple, ainsi que la famille royale. Mais il faut attendre fin septembre pour que les sections et les clubs révolutionnaires parisiens commencent à demander un châtiment pour le monarque déchu. Le 1er octobre, une commission de 24 députés, fraichement élus à la Convention, est mise sur pied afin de rassembler les charges contre le roi. Mais la question semble trainer en longueur. Le 6 novembre, le rapport de la commission, jugé faible, est renvoyé pour complément. Le lendemain, le comité législatif de la Convention estime que celle-ci est légitime pour être la cour devant laquelle juger Louis XVI. Mais les débats qui suivent se perdent en arguties sur le point de savoir s’il fallait juger le roi de droit divin qui avait prêté serment à Reims ou le roi des Français selon la constitution de 1791, si le roi est défendu par son inviolabilité constitutionnelle prévue par celle-ci.

Le 13 novembre, un député de 25 ans, Saint Just, fait basculer le débat. Il ne s’agit pas de juger le roi mais de le châtier pour sa seule condition royale. Par définition, un roi est coupable d’atteinte au contrat social de la nation. « Un roi doit régner ou il doit mourir ». Le 3 décembre, le discours de Robespierre tend à soutenir la perception de Saint Just. Il ne s’agit pas de faire le procès d’un homme qui, déclaré innocent, remettrait en cause les révolutionnaires du 10 août et la Convention elle-même. Il faut un procès politique contre le principe même de la souveraineté monarchique. La sacralité de la monarchie doit céder face à la sacralité de la Révolution. C’est le sens de la phrase de Robespierre : « Louis doit mourir pour que la Patrie vive ». Autre débat important : par qui doit être jugé le souverain déchu ? Après avoir évoqué un tribunal ordinaire, la constitution d’une haute cour de justice et les assemblées primaires, les députés décident finalement que la Convention elle-même, censée représenter la souveraineté nationale, s’en chargerait.

Le procès s’ouvre le 11 décembre. Pour nombre de députés, il s’agit de la première fois qu’ils ont l’occasion de voir celui qui a été leur roi. Laissons Michelet décrire l’accusé : « Un homme comme tant d’autre, qui semblait un bourgeois, un rentier, un père de famille, l’air simple, un peu myope, d’un teint déjà pâli par la prison et qui sentait la mort. » Pendant quatre heures, il répond aux multiples questions posées par le président Bertrand Barère. John Moore, observateur anglais, note : « L’attitude du roi pendant tout le temps de sa comparution devant la Convention est demeurée calme, tranquille, et celle d’un homme résigné à la nécessité des circonstances, sans voir le sentiment d’être coupable. » Louis XVI obtient d’être assisté de trois avocats : Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, ancien secrétaire d’Etat à la Maison du roi et qui s’est porté volontaire pour défendre son souverain, François Trochet, ancien avocat au Parlement de Paris, Raymond de Sèze, avocat bordelais. Ils eurent deux semaines afin de prendre connaissance des pièces du dossier et préparer leur défense. Le roi ne se fit guère d’illusion sur son sort comme il l’écrit dans une lettre adressée à Malesherbes le 17 décembre. « Les ingrats qui m’ont détrôné ne s’arrêteront pas au milieu de leur carrière ; ils auraient trop à rougir de voir sans cesse sous leurs yeux leur victime. Je subirai le sort de Charles Ier, et mon sang coulera pour me punir de n’en avoir jamais versé. » Le procès reprit le 26 décembre. Les avocats ne voulurent pas axer leur défense sur un plaidoyer de ce que fut le roi d’Ancien Régime, héritier d’une prestigieuse monarchie. Ils se concentrèrent sur la période allant de 1789 à 1792, soulignant les grandes limites des pouvoirs royaux à la suite des évènements révolutionnaires et au regard de la constitution de 1791, la fait que les documents manuscrits de Louis XVI découverts, le 20 novembre, aux Tuileries dans « l’armoire de fer », dont le roi nia la véracité … ou l’absence de souvenirs, pouvaient avoir été falsifiés ou tronqués. Sans doute, cette défense et l’attitude du roi manquèrent de panache mais non de courage devant une assemblée a priori défavorable.

Le 15 janvier 1793, les députés de la Convention sont appelés à répondre à trois questions : Louis Capet, ci-devant roi des Français, est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et contre la sureté générale de l’Etat ? Le jugement de la Convention nationale contre Louis Capet sera-t-il soumis à la ratification du peuple ? Quelle peine Louis, ci-devant roi des Français, a-t-il encouru ? A la demande de Marat, le vote s’effectue, non par bulletins secrets, mais par appel nominal, chaque député montant à la tribune pour donner son avis. A la première question, 691 députés sur 749 répondent oui (aucun ne répond par la négative mais 31 sont absents et 27 s’abstiennent). A la seconde question, l’appel au peuple est rejeté par 424 voix contre 287 et 12 abstentions. Reste à fixer la sentence. Les députés se prononcent le lendemain et surlendemain, le vote ne se terminant que le 17 janvier au soir. La peine de mort est voté par 366 députés soit 6 voix de plus que la majorité (quelques jours plus tard, un recomptage des voix donna 361 voix pour la mort immédiate, soit 5 voix de moins que le 17 janvier et une voix au-dessus de la majorité absolue), la mort avec sursis n’est adoptée que par 34 députés. 319 choisissent la détention jusqu’à la fin de la guerre contre l’Autriche et la Prusse, puis le bannissement. Deux députés envisagent la peine des travaux forcés.

Une commission, conduite par le ministre de la Justice Dominique-Joseph Garat, avertit officiellement le roi de sa condamnation le dimanche 20 janvier, exécutable « dans les vingt-quatre heures à compter de sa notification ». Ainsi, Louis XVI est exécuté le lundi 21 janvier. Les divers témoins s’accordent pour dire que le souverain mourut avec courage et dignité. Ainsi disparait une conception de la monarchie, « Louis de droit divin et, avec lui, d’une certaine manière, la chrétienté temporelle » comme l’écrit Albert Camus dans L’homme révolté.